Alors que la deuxième partie de la Saison 4 de la série « Emily in Paris » est en cours de diffusion sur la plateforme Netflix, le regard des spécialistes de la propriété intellectuelle se tourne davantage vers un personnage secondaire : le loufoque et exubérant créateur de mode fictif Pierre CADAULT.

Deux décisions récentes de l’INPI et de l’EUIPO se prononcent au sujet de marques déposées par des tiers comprenant le nom de famille du personnage. Deux décisions qui soulignent l’importance de se placer au moment du dépôt pour apprécier l’existence ou non de la fraude ou de la mauvaise foi.

 

En France (décision de l’INPI du 29 avril 2024 NL 23-0159)

Le 14 décembre 2020, soit un peu plus de deux mois et demi après la première diffusion de la série « Emily in Paris », un particulier français dépose la marque  (Cadault Cosmetic) en classe 3 pour des produits cosmétiques.

Ce n’est qu’en août 2020, après son enregistrement, que la société américaine Viacom International Inc., qui gère les droits sur la série, a introduit une action en nullité auprès de l’INPI contre ce dépôt qu’elle estime frauduleux.

Afin de prouver l’existence d’une fraude, il convient d’établir :

• Que le déposant avait connaissance de l’usage antérieure au jours du dépôt ;
• Que son dépôt prive illégitimement autrui d’un signe nécessaire à son activité.

Sur le premier critère, l’INPI indique que les pièces fournies par la société Viacom démontrent une connaissance de la série « Emily in Paris » mais ne permettent pas d’établir que seulement deux mois et demi après sa diffusion, le consommateur pensera au personnage secondaire Pierre CADAULT en étant confronté à une marque CADAULT Cosmetic. A cet égard, l’Office relève qu’il est systématiquement fait mention de ce personnage en associant son nom et son prénom dans la série. Enfin, l’INPI note que le personnage Pierre CADAULT évolue dans le monde de la haute couture et non pas dans le secteur des cosmétiques « ce qui rend l’évocation du personnage encore moins évidente ».

Sur le second critère, l’INPI précise que le seul fait que le dépôt ait été réalisé deux mois après le lancement de la série ne suffit pas à prouver une intention malhonnête du titulaire. En effet, après son dépôt ce dernier n’a pas contesté l’usage du nom Pierre CADAULT dans le cadre de la série et n’a donc pas cherché à en interdire l’exploitation

La marque est donc bien valable et enregistrée en France.

 

En Union Européenne (Division d’annulation de l’EUIPO No C 64 100 du 2 octobre 2024)

Le 2 octobre dernier, c’est l’EUIPO qui a rendu une décision en lien avec ce même personnage.

Cette fois ci, il s’agissait d’un dépôt de marque Pierre Cadault présenté à l’Office de l’Union Européenne par une société française le 31 mars 2023 en classes 3 (cosmétiques), 9 (lunettes et accessoires de téléphone), 14 (bijouterie), 18 (bagages et maroquinerie) et 25 (vêtements).

Dans ce cas les circonstances sont un peu différentes. On notera notamment que :

• Ce dépôt intervient 2 ans et demi après le lancement de la série ;
• Le signe déposé comprend le nom complet du personnage ;
• Certains produits visés présentent un rapport étroit avec le personnage (bagages et vêtements).

Le 29 janvier 2024 la société Viacom introduit une action en annulation auprès de l’EUIPO afin de contester le dépôt de la marque Pierre Cadault qui aurait été effectué de mauvaise foi.

Le critère de la mauvaise foi dans la pratique de l’EUIPO implique que le comportement d’un demandeur de marque s'écarte des principes éthiques ou des pratiques commerciales honnêtes. Son appréciation tient compte de l’ensemble des éléments du dossier.

En l’occurrence, après avoir étudié les près de 90 annexes fournies par la société Viacom, les examinateurs ont estimé qu’en raison du succès mondial de la série « Emily in Paris » et que compte tenu du fait que le personnage Pierre CADAULT apparaissait dans chacune des saisons, le déposant ne pouvait pas ignorer l’existence de l’usage antérieure de ce nom.

“The fictional character is not the main character of the series, but the series being famous is enough to presume that there is knowledge of the identical name of a character of the series incorporated into the contested EUTM”.

Afin d’établir la mauvaise foi il convint également de prouver que le déposant avait l’intention de nuire à la société Viacom notamment en l’empêchant d’utiliser le nom Pierre CADAULT. Il est intéressant de relever qu’ici aussi le déposant ne semble pas avoir cherché à contester l’usage de la société Viacom mais n’a pas non plus essayé d’exposer son intention d’usage légitime.

Les examinateurs notent cependant que les produits couverts par le dépôt litigieux sont communément utilisés pour réaliser du marchandising. Ils ont ainsi estimé qu’en déposant cette marque en ayant connaissance de la réputation et de l’existence des droits de la société Viacom, le défendeur tentait d’entraver son activité liée aux produits dérivés de la série et ce même sans avoir contesté l’usage de la société Viacom.

Le dépôt est donc jugé de mauvaise foi et la marque est totalement rejetée.

 

Il est intéressant d’observer que les circonstances différentes qui pourraient paraître secondaires (moment d’introduction de l’action par rapport au lancement de la série, dépôt du nom entier ou non, produits et services visés) ont vraisemblablement pesé dans l’appréciation de la fraude/mauvaise foi du déposant et ont permis d’atteindre à deux décisions opposées.

Il convient de noter que ces décisions étant récentes elles ont pu ou pourront encore faire l’objet de recours. Nous n’avons donc peut-être pas fini d’entendre parler du fameux Pierre Cadault.

 

Fun Fact : Saviez-vous que le personnage aurait lui-même été inspiré de deux géants de la mode, Pierre Cardin (d’où les similarités dans le nom) et Karl Lagerfeld (un éventail et/ou un chat dans les mains de l’acteur est un bon indice).

 

 

 

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Marie Breuil